Des jeunes Genevois visitent Auschwitz

Mercredi 16 novembre, 220 personnes, essentiellement des élèves du privé et des enseignants, ont participé à une journée d’étude en Pologne. Le voyage, organisé par la Cicad pour la 21e fois, a pour objectif de perpétuer la mémoire de l’holocauste. La visite du camp d’extermination laissera des souvenirs indélébiles à ces jeunes et à leurs accompagnateurs. Reportage.

  • Une visite qui laissera des traces indélébiles dans la mémoire des adolescents. PHOTOS MP

  • Dans "Le livre des noms" sont répertoriés les noms de 4 millions de victimes de la Shoah.

  • Dans «Le livre des noms» sont répertoriés les noms de 4 millions de victimes de la Shoah. MP

    80'000 paires de chaussures.

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«En arrivant dans le camp, c’était comme si l’air devenait pesant. J’avais le cœur serré. On ressent qu’il s’est passé quelque chose de grave ici», explique Sylvie, 16 ans, en direct de la salle d’embarquement de l’aéroport de Cracovie (Pologne), à l’issue d’une journée forte en émotions, en ce mercredi 16 novembre. La jeune étudiante fait partie des quelque 200 élèves genevois, de l’école internationale mais aussi de l’institut Florimont, du collège du Léman et de l’école Moser, accompagnés d’enseignants de Suisse romande, à avoir visité le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz.

Organisé par la Cicad (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation), ce voyage, le 21e du genre, vise à perpétuer l’indispensable travail de mémoire. «Je sentais que c’était ma responsabilité de citoyenne d’y aller, souligne Théa, 17 ans. Il faut qu’on se souvienne. D’autant plus que les survivants ne seront bientôt plus là pour témoigner.»

A l’image de Ginette Kolinka, 97 ans, l’une des dernières rescapées d’Auschwitz, que les élèves ont rencontrée début novembre. «Voir son tatouage, ça m’a marquée», poursuit Théa, encore émue.

Des souvenirs indélébiles, il y en aura beaucoup d’autres après cette journée à arpenter le camp de Birkenau puis Auschwitz et son musée, dans le brouillard et sous la pluie. «C’est un lieu de recueillement, pas un lieu de balade encore moins un parc d’attractions!», prévient Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad avant que les groupes ne descendent des bus.

Sur place, il est interdit de manger, de boire, de fumer et bien sûr de prendre des photos indécentes. A l’ère du selfie mais aussi après une période de pandémie durant laquelle les anti-vaccins ont utilisé les symboles nazis, cette piqûre de rappel semble nécessaire.

«Trompés jusqu’à leurs derniers instants»

Même si, dès le franchissement de «la porte de la mort», soit le portail de Birkenau par lequel entraient les trains de déportés, le silence et le recueillement s’imposent. Seuls la voix du guide et le bruit des pas rythment la visite des 175 hectares de camp, «l’équivalent de 300 terrains de football». Des baraquements en bois où les prisonniers dormaient entassés à plus de 800 aux chambres à gaz planquées dans la forêt… «Ils étaient trompés jusqu’à leurs derniers instants, explique le guide. Certains ont payé leur billet de train pour venir ici. On leur proposait une douche à leur arrivée. Un faux camion de la Croix-Rouge les accompagnait… en réalité, il servait à transporter le gaz.»

Et d’ajouter: «Ici, l’homme était privé de tout. Mais avant tout de sa dignité. On rasait les cheveux des prisonniers. On leur tatouait un numéro. Ils n’avaient plus le droit d’utiliser leur prénom. A leur libération, certains adolescents ne savaient pas comment ils s’appelaient.»

Pour rendre hommage aux milliers de disparus, les photos de leurs archives personnelles, confisquées à leur arrivée, emplissent d’immenses panneaux. Ici, un bébé aux cheveux bouclés sourit, là, un couple pose le jour de son mariage, une femme porte son nouveau-né…

Des clichés de la vie d’avant qui contrastent avec les portraits de détenus que l’on découvre quelques heures plus tard dans l’un des «blocks» du camp d’Auschwitz transformé en musée. «Ce qui frappe, c’est leur regard vide. Comme si leurs yeux étaient trop grands… Sous la photo de l’un d’eux étaient indiquées sa date d’arrivée au camp et celle de sa mort. C’était le lendemain», remarque Anna, 16 ans.

80’000 paires de chaussures, 2 tonnes de cheveux

De block en block, on prend conscience de l’horreur. «En janvier 1942, est mise en place la solution finale, dont l’objectif est d’exterminer les 11 millions de juifs d’Europe», rappelle le guide. Ils seront près de six millions à périr de froid, de faim, de fatigue, emportés par la maladie, fusillés ou gazés.

Dans «le livre des noms» qui occupe, à lui seul, toute une pièce du musée, les noms de 4 millions d’entre eux ont été retrouvés et répertoriés. De quoi donner une idée de l’ampleur de la Shoah. Tout comme, dans le block suivant, les montagnes de chaussures. «Il y a environ 80’000 paires. Derrière chacune, c’est un être humain», lâche le guide dans un souffle. Dans une autre pièce, derrière les vitres, l’amoncellement des cheveux donne la nausée… «Il n’y en a qu’une petite partie, soit 2 tonnes.» Une image que Léo, Sylvie, Théa, Anna et les autres ne sont pas près d’oublier. En regagnant le bus dans la nuit, le silence est, plus que jamais, de mise.