«Selon le code pénal suisse, le corps humain est protégé par des droits, même après le décès. Son utilisation aussi»
Mauro Poggia, chef du Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé
L’exposition itinérante de cadavres Body Worlds continue de susciter une vive polémique à Genève. Dernier rebondissement, l’entrée dans l’arène du conseiller d’Etat Mauro Poggia. GHI a appris que le ministre de la Santé a adressé, le 8 septembre en qualité de simple citoyen, une lettre au procureur général de la République Olivier Jornot. Il y dénonce notamment «l’importation illicite en Suisse de cadavres et de restes d’une personne».
«J’ai entrepris cette démarche à titre personnel car c’est le citoyen qui s’interroge et non le conseiller d’Etat, qui n’a pas de prérogatives sur cette question», clarifie d’emblée Mauro Poggia. Qui poursuit: «Je trouve choquant que cette exposition, sous couvert d’une finalité artistique et pédagogique, expose des cadavres d’êtres humains écorchés, éventrés, voire découpés, dans le but de démontrer l’incroyable subtilité des mécanismes humains. D’autres moyens, comme la reproduction en 3D, existent pour le faire. En réalité, Body Worlds n’a aucune visée scientifique: en faisant appel à la morbide curiosité du public et son voyeurisme pour les représentations de la mort, elle ne vise qu’un intérêt mercantile.»
Identité des cadavres exposés
Voilà une attaque clairement formulée. Reste que ce ne sont toutefois pas les aspects moraux, éthiques, pédagogiques, mercantiles ou artistiques qui motivent la démarche de Mauro Poggia. Ce sont les aspects juridiques. «Selon le code pénal suisse, le corps humain est protégé par des droits, même après le décès. Son utilisation aussi», explique l’ancien avocat. Qui interpelle directement le procureur général: «Vous qui avez les moyens d’investiguer, connaissez-vous l’identité de chaque cadavre exposé? Avez-vous la garantie qu’il ou elle a donné son consentement pour être exposé dans une manifestation mercantile? Le savoir, c’est la moindre des choses.»
Formalités respectées?
Au strict regard de la loi, ces questions méritent réponses. Mais indépendamment de celles-ci, dans sa lettre Mauro Poggia questionne surtout la loi sur l’importation en Suisse de corps humains en provenance de l’étranger. «Oui, exactement. Même plastinés, les cadavres restent d’origine humaine. Selon les accords internationaux, le transport d’un corps humain doit être muni d’un laissez-passer qui ne peut être délivré que sur présentation d’un extrait authentifié de l’acte de décès. Le contrôle visant à établir l’identité du cadavre incombe aux douanes. Celles-ci ont-elles obtenu ces certificats de décès? Je demande au Ministère public qu’il examine si toutes les formalités douanières ont été respectées. Dans le cas contraire, des mesures peuvent être prises, comme à Paris en 2010, pouvant aller jusqu’à suspendre la manifestation», rappelle Mauro Poggia.
Le conseiller d’Etat conclut en anticipant la plus prévisible des objections: «Peu importe que cette exposition ait déjà été présentée dans de nombreuses villes à travers le monde et même en Suisse, il y a plus de dix ans. Si le droit n’est pas respecté ailleurs, cela ne constitue pas une raison pour qu’il ne le soit pas à Genève, la ville qui se targue d’être le fer de lance de la défense des droits de l’homme.»
Silence du Ministère public
La justice interviendra-t-elle dans l’affaire? Va-t-elle investiguer comme le demande Mauro Poggia dans sa dénonciation? Interrogé, le procureur général Olivier Jornot ne souhaite faire aucun commentaire».