COMMENTAIRE - Prends garde à toi!

  • Pascal Décaillet.

    Pascal Décaillet.

Celui qui veut monter Carmen est libre. Tout créateur est libre. Il a le droit de faire de Carmen un homme, d’en faire à la fin la tueuse plutôt que la victime, de placer l’action en Norvège plutôt qu’en Espagne, aucun problème. Ainsi fonctionnent les variantes: tout étudiant s’étant frotté aux mythes grecs, avec leur infinité de possibles, le sait bien.

Simplement, si on touche la moindre virgule au texte de Mérimée, ou la moindre note à la musique de Bizet, ça n’est plus ce Carmen-là. Mais un autre, qui a parfaitement le droit d’être. Toute œuvre est adaptation, toute nouvelle lecture passe par une forme de transgression. Toute nouvelle variante passe par la petite mort de l’auteur initial, ou tout au moins du précédent.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’un auteur initial? Ni Molière ni Mozart ne sont celui de Dom Juan, ni Hölderlin ni Brecht ne sont ceux d’Antigone, et sans doute pas même Sophocle. Versions antérieures, orales, perdues, retrouvées dans des légendes balkaniques. Infinité du prisme: c’est cela, la troublante fragilité du mythe.

Donc, oui, on peut revisiter la fin de Carmen comme on l’entend. Il ne faut juste plus la présenter comme celle créée le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique. Et, il faut, surtout, se montrer artistiquement à la hauteur de la dénaturation. En l’assumant. En lui donnant du sens. Et pas seulement, pour faire plaisir au vent des modes. Et là, toi le metteur en scène, si tu transgresses cela, alors oui, prends garde à toi!