Le retour de l’aigle européen dans le ciel lémanique

Sur les bords du Léman, le programme de réintroduction du pygargue à queue blanche démarre. Les couples reproducteurs sont installés dans les volières aménagées à Sciez (Haute-Savoie) en vue de se reproduire dès janvier. Reportage.

  • Cinq couples ont été installés dans des volières équipées d’un double nid et de webcams. MP

  • Jacques-Olivier Travers, directeur du parc des Aigles du Léman et fondateur du projet. MP

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Prêt pour le décollage! Au parc des Aigles du Léman, à Sciez (Haute-Savoie), sur les bords du lac, le programme de réintroduction du pygargue à queue blanche entre dans la dernière ligne droite. Sur place, cinq volières spécialement conçues pour ce projet ont vu le jour. C’est là que naîtront les aiglons destinés à reconquérir les cieux de notre région.

En attendant, ce sont les parents qui ont investi les lieux. En cet après-midi d’automne ensoleillé, l’un des mâles fait trempette sous les yeux de sa dulcinée. «On y a installé cinq couples qui se sont déjà reproduits par le passé, indique le directeur du parc et fondateur du projet, Jacques-Olivier Travers. En parallèle, on en forme quatre autres afin d’inscrire le programme dans la durée.»

Emancipation en douceur

Après la période d’adaptation, viendra la période de reproduction, en janvier. Puis, la ponte fin février. Suivies de l’éclosion fin mars. L’envol du jeune se situe entre le 20 juin et le 10 juillet. «Après cette date, il peut rester avec les parents jusqu’à décembre. Mais, 80% des jeunes quittent définitivement le nid avant le 15 octobre. Enfin, d’après ce que l’on sait d’autres programmes de réintroduction, un petit pygargue revient nicher à moins de 30 km de son lieu de nidification.» D’où l’espoir de voir l’espèce faire son retour dans la région de manière pérenne.

Concrètement, le programme repose sur un tout nouveau système. «Les volières disposent d’un double nid», détaille le fauconnier. A huit semaines, les jeunes passeront dans la partie du nid donnant sur l’extérieur. Les parents, restés dans la volière, continueront de les nourrir à travers des barreaux en bois. De quoi permettre aux aiglons de prendre leur indépendance et leur envol en douceur dès 2022.

Un retour à vivre en live

Grâce aux caméras installées dans chaque volière puis aux balises fixées sur les jeunes pygargues, tout ce processus sera étudié à la loupe. «L’objectif est scientifique. Toutes les images et les données seront enregistrées et étudiées par des étudiants en biologie», précise le directeur du parc.

Le grand public pourra lui aussi vivre le retour de l’aigle européen dans la nature en live. Et ce, en s’abonnant pour la somme de 50 euros (54 francs) pour l’année. Les cinq couples de ce «loft des aigles» seront présentés sur le site internet. Une fois le choix fait, grâce à un code, il sera possible de se connecter autant qu’on le veut afin de voir ce qui se passe dans la volière puis de suivre grâce à la balise les pérégrinations dans nos cieux des deux jeunes de la couvée.

«Ce n’est pas une légende!» 

«C’est un mythe!» L’ornithologue suisse Laurent Vallotton n’hésite pas à mettre en doute le fait que le dernier couple d’aigles européens, aussi appelé orfraies, nichait à la fin du XIXe, à Ripaille, en Haute-Savoie, à quelques encablures de Genève. 
Son avis publié dans l’hebdomadaire haut-savoyard Le messager a fait germer une controverse que Laurent Vallotton, lui-même, trouve exagérée. «Je regrette la tournure que cela a pris. Je ne suis pas opposé au projet de réintroduction, nous écrit-il. Mais je reste cependant convaincu que le pygargue n’a pas niché dans la région lémanique. Toute la bibliographie relative au pygargue à queue blanche en Suisse, de 1817 environ à 2007, est unanime pour affirmer que l’espèce est un hivernant rare, mais régulier au passage en Suisse et qu’il n’a jamais niché en Suisse, ni en zone limitrophe», affirme-t-il. 
«Faux!» rétorque Jacques-Olivier Travers, le directeur du parc des Aigles du Léman. Pour le prouver, le fauconnier s’est changé en rat de bibliothèque. Documents à l’appui, il réplique: «On a trouvé plusieurs écrits émanant de trois sources distinctes.» Tout commence avec Victor Fatio. Le zoologiste suisse décrit un couple de pygargues à Ripaille, dont l’un a été tué lors d’une partie de chasse le 1er ou le 2 novembre 1892 et qu’il a vu chez le taxidermiste genevois Cordin. Un deuxième auteur, le chasseur Horace Bourdillon, raconte lui aussi l’histoire de ce couple, dont le deuxième jeune a été abattu le 8novembre 1892. 
 
Rousseau: «Cris d’orfraies»
L’existence de ce couple est remise en question en 1920 par le fils d’Engel, propriétaire du château de Ripaille, âgé de 12 ans au moment des faits. Or, «on a retrouvé la trace de la conversation directe entre Fatio et Engel père en 1900, précise Jacques-Olivier Travers. Il ne dit pas qu’il n’y a pas de nichée mais qu’il n’en a pas eu connaissance lors de l’achat du château en 1892. Qui plus est, cette même conversation avec Victor Fatio montre qu’il y a eu un troisième pygargue de 2 ans abattu à Ripaille juste après ceux de 1892.» 
Enfin, l’écrivain philosophe Jean-Jacques Rousseau, lui-même, parle des «cris d’orfraies» qu’il entend lors de son séjour à Meillerie (Haute-Savoie) en 1754. De quoi tuer dans l’œuf la polémique.
 

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