L’instruction en famille cartonne

De plus en plus de Genevois enseignent eux-mêmes à leurs enfants. Le Covid a renforcé cette tendance. Ce «choix de vie épanouissant» exige du temps, de l’engagement et des sacrifices financiers. Dans notre canton, le contrôle de l’école «à la maison» a été renforcé et passe désormais par un entretien. 

  • Frédérique Baudois et son mari ont fait le choix de l’école à la maison pour leurs deux fils. STéPHANE CHOLLET.

    Frédérique Baudois et son mari ont fait le choix de l’école à la maison pour leurs deux fils. STéPHANE CHOLLET.

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Alors que les élèves apprivoisent encore leurs nouveaux camarades et leurs professeurs, certains enfants n’ont pas repris le chemin de l’école. Pour cause: leurs parents ont choisi de leur faire «l’école à la maison». Cette année, à Genève, 132 jeunes étaient concernés selon le Département de l’instruction publique. En Suisse, les «homeschoolers» étaient 3015 en 2020-2021 contre 2000 en 2019. Ces chiffres sont en augmentation partout. En 2020-2021, ils étaient 134 à Genève contre 80 l’année précédente et 60 en 2017-2018.

Faut-il voir dans ce boom une défiance vis-à-vis du système traditionnel? «Pas forcément. Il s’agit plutôt d’une envie de certains parents d’offrir un enseignement sur mesure à leur enfant et de grandir avec eux sur ce chemin», répond Jeanne Rektorik, coordinatrice romande de l’association Instruire en Liberté.

Ces parents jugent parfois l’enseignement public trop formaté ou ne stimulant pas au mieux leurs enfants. On trouve aussi des personnes qui estiment que les idéologies dominantes déteignent sur les enseignements et érodent l’esprit critique et le sens des valeurs. Une minorité grandissante d’autres est méfiante quant à la numérisation du système scolaire à l’heure où les effets néfastes des écrans sur les jeunes cerveaux sont étayés par de nombreuses études.

Il arrive aussi que des familles optent pour l’instruction en famille (IEF) à cause de problèmes de santé de leur enfant ou parce que ce dernier subit des violences à l’école. «La crise du Covid a agi comme un révélateur sur certains parents qui ont constaté que l’IEF n’était pas hors de portée et que c’était épanouissant pour tous», explique Caroline Tissot, responsable genevoise de l’association spécialisée Les travailleurs de la pensée qui promeut la neuro-diversité.

«Le monde est notre classe»

Les critiques assènent que homeschooling rime avec désocialisation. Un reproche qui agace les principaux concernés car, en pratique, l’école à la maison se fait souvent à l’extérieur et en compagnie d’autres familles lors d’activités pédagogiques. L’enseignement personnalisé en petit groupe laisse aussi plus de temps pour les copains et les activités extra-scolaires, selon eux.

«La vie quotidienne est en soi une succession d’occasions d’apprentissage. De simples courses permettent de mettre à profit des compétences en calcul, en langue et en français. Les parents faisant de l’IEF travaillent souvent régulièrement ensemble. Cela attise la capacité à collaborer. Au final, les apprentissages sont efficaces et on gagne du temps sur la préparation et les trajets vers l’école», synthétise Caroline Tissot.

Frédérique Baudois confirme. Cette esthéticienne de profession, formée en kinésiologie, pratique l’IEF avec ses fils de 4 et 6 ans. Le confinement lui a donné l’occasion de concrétiser ce projet de longue date. «Je voulais leur proposer une expérience d’apprentissage plus libre, plus respectueuse de leurs envies, de leurs personnalités, leurs difficultés et leurs rythmes. Le monde est notre salle de classe. On fait des additions avec des galets au bord du lac ou on passe du temps à échanger sur son métier avec un maçon croisé dans la rue. La curiosité naturelle des enfants se déploie pleinement et en mouvement. Quelle satisfaction de les voir évoluer!», se félicite la résidente de Versoix qui laisse chaque jeudi ses fils faire l’école en forêt à la Bambousière.

Pas pour tout le monde

Si les aficionados du homeschooling augmentent, Jeanne Rektorik prévient tout de même: «Ce choix de vie est de mieux en mieux compris mais ne convient pas à tous. Il faut être curieux, énergique mais aussi être souvent prêt à renoncer à un deuxième salaire…»

Dès lors, la spécialiste ne pense pas que le boom constaté se prolonge indéfiniment. Elle estime qu’en Suisse, un maximum de 2,5% des familles en arriveront peut-être à faire l’IEF à leur enfant un jour.

Genève serre la vis

LG • Seize cantons suisses sur 26 permettent l’école à la maison. A Genève, les parents concernés doivent faire une demande étayée avant chaque année scolaire ou même en cours d’année alors qu’il leur suffisait de s’annoncer jusqu’en 2020. Ce serrage de vis découle en bonne partie du Covid qui a boosté l’intérêt des parents pour l’instruction en famille (IEF), pratique que l’Etat veut contrôler pour prévenir les dérives.

A Genève, un diplôme de maturité ou équivalent est fortement conseillé pour faire du homeschooling et la demande au Département de l’instruction publique doit être désormais étayée en profondeur. Elle s’accompagne parfois d’un entretien au cours duquel les parents expliquent leur motivation et leur projet pédagogique.

«En pratique, la demande est acceptée mais cela prend plus de temps qu’avant et on sent une volonté de dissuasion», explique Caroline Tissot. L’instruction dispensée en IEF doit respecter le plan d’études romand. Les enfants sont soumis aux mêmes examens que les autres élèves et des échecs répétés peuvent conduire à leur retour forcé à l’école.