Une affiche glorifie Staline et les bombes

Des militants ont collé une affiche en hommage au dictateur au beau milieu de Carouge. Sur le montage, on découvre également un cliché montrant comment fabriquer une bombe artisanale. Décryptage et réactions.

  • Pour Me Romain Jordan, «les auteurs de ces affiches remplissent les éléments constitutifs de  la provocation à violence». TR

    Pour Me Romain Jordan, «les auteurs de ces affiches remplissent les éléments constitutifs de la provocation à violence». TR

«Oser lutter, oser vaincre. Montrez votre volonté d’agir.» Tels sont les mots figurant sur une mystérieuse affiche, collée sur un mur au pied des tours de Carouge, à deux pas de la place de jeux pour enfants Vibert. Dessus, les passants découvrent un savant montage à la gloire de Staline et de l’idéologie communiste. On y voit notamment une photo du dictateur, des références aux polices politiques soviétiques (Tchéka, Guépéou, NKVD) ou encore une image censée montrer comment fabriquer une bombe artisanale «prête à l’emploi». A côté, une autre affiche demande la «liberté pour Alfredo Cospito, Anna Beniamino, Juan Sarroche et tous les camarades révolutionnaires prisonniers», des anarchistes condamnés en Italie pour des activités terroristes.

Mais ce n’est pas tout, puisque les militants à l’origine de l’affiche prônent l’utilisation de la violence: «La lutte armée est la forme la plus élevée de l’action politique. Seule une guerre sans merci aura raison de la bourgeoisie, de l’ultralibéralisme sauvage et du fascisme.»

Incitation à la haine

Qui se cache derrière cet appel à l’insurrection? Seule figure une mention à une obscure «Individualité révolutionnaire et non conforme de la Confédération», une entité introuvable sur la Toile. Autre piste, une affiche collée juste à côté fait référence au «Barocchio», un squat anarchiste italien situé dans une banlieue de Turin, fermé à de nombreuses reprises depuis sa création.

Problème: l’incitation à la haine et la négation de crimes contre l’humanité tombent sous le coup de la loi suisse. L’article 261bis du Code pénal suisse interdit en effet de «nier, grossir, minimiser ou justifier des actes constitutifs de génocide ou d’autres crimes contre l’humanité». A titre de sanction, le texte prévoit une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire.

«Les auteurs de ces affiches remplissent potentiellement les éléments constitutifs de la provocation à la violence», estime Me Romain Jordan, avocat chez Merkt et associés, citant le premier alinéa de l’article 259 du Code pénal: «Celui qui aura provoqué publiquement à un délit impliquant la violence contre autrui ou contre des biens sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.»

Traduction: «En faisant mention à des polices soviétiques à l’origine d’une répression violente, en mettant en doute la culpabilité de personnes ayant commis des actions violentes, en promouvant la violence, en menaçant certaines tranches de la population et en diffusant des images de bombe artisanale, les auteurs des affiches incitent activement et publiquement à passer à l’action», éclaire l’avocat.

Me Jordan précise toutefois qu’aucune infraction ou règle en vigueur n’interdit en soi la simple représentation de dictateurs, fussent-ils sanguinaires. Et de rappeler qu’une récente interpellation parlementaire vise à l’adoption de règles spécifiques interdisant la représentation de symboles nazis ou faisant l’apologie de la violence sur le domaine public (lire l’encadré).

Dépôt de plainte

Contactées, les autorités carougeoises informent avoir repéré ces affiches. «Les services chargés de l’élimination des tags et de l’affichage sauvage et la police interviennent pour rétablir, effacer, faire disparaître. Ils procèdent à un dépôt de plainte lorsque la situation le permet», détaille le secrétaire général, Manuel Schüle.

Concernant la teneur de ces affiches, la Municipalité reste prudente. «Il ne s’agit pas de se prononcer sur le fond comme sur le caractère artistique ou non de tags. Evidemment que nous ne soutenons pas l’apologie de crimes de guerre ou l’appel à l’insurrection, mais nos services œuvrent ici pour la salubrité de l’espace public», conclut-il.

«Il faut arrêter de banaliser ces phénomènes»

TR • En janvier, plusieurs élus genevois de gauche et de droite ont présenté un projet visant à «interdire l’exhibition ou le port de symboles, d’emblèmes ou de tout autre objet nazi dans le domaine public». A l’origine du texte, renvoyé en commission, le député UDC Thomas Bläsi, lui-même petit-fils de déporté. Les élus dénoncent notamment la disposition pénale antiraciste, qui «n’empêche pas le port de symboles, d’emblèmes ou de tout autre objet relié au nazisme sur le domaine public et la propagation des idéologies haineuses et discriminatoires qui en résultent». Un combat salué par Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation), qui voit d’un bon œil les différentes actions menées par les Cantons. «Il faut accepter que ce sont des appels à la haine. Et arrêter de banaliser ces phénomènes», considère-t-il.