«Une grosse partie d’entre nous va passer à la trappe»

BANQUE • A Genève, le retour au bureau lundi 20 mars a été particulier pour les employés du Crédit Suisse devenus, suite au rachat, des employés d’UBS. Ils craignent désormais de perdre leur travail. Témoignage.

  • Deuxième banque du pays, Credit Suisse a été racheté par UBS. MP

«Nous avons quitté le bureau vendredi en étant employés du Credit Suisse. Et nous sommes revenus lundi comme futurs licenciés d’UBS.» Gérant de fortune, Xavier* est encore sous le choc. Il est l’un des 700 employés genevois de feu la deuxième banque du pays.

Lui et ses collègues ont suivi heure après heure le feuilleton du week-end: à savoir le rachat de Credit Suisse par UBS. «J’étais scotché devant ma télé. A écouter les déclarations du Conseil fédéral, les décisions de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et de la Banque nationale suisse (BNS). Sachant qu’en réalité, ce sont les régulateurs américains et ministres des finances français et autres qui avaient notre avenir entre leurs mains.»

«On a été bradé!»

Et d’ajouter: «Ils ont mis la pression car ils voulaient que la Suisse trouve une solution avant l’ouverture des marchés, sinon, cela aurait été la panique. C’est un mariage arrangé. Ni UBS, ni Credit Suisse ne voulaient de cette union. On a été vendu pour 3 milliards d’après les informations qui circulent. Autrement dit, une bouchée de pain! On a été bradé!»

Au-delà du choc, c’est aussi de la colère que ressentent les employés de Credit Suisse. «On en veut à notre direction. On n’a pas vu Ulrich Körner, notre CEO. Où étaient nos dirigeants? Le top management n’a pas été à la hauteur ni de leurs postes, ni des millions touchés pendant des années! Leur seul message a été: Circulez, y a rien à voir! Ils ont réussi à faire mentir le fameux «too big to fail». Ils ont fait tomber l’intombable. C’est vraiment l’exécutif de la honte!»

«Morts-vivants de la finance!»

Difficile dans ces conditions de se motiver pour retourner au bureau. Xavier n’est pas près d’oublier son arrivée devant les bâtiments du siège ce lundi matin. «En approchant, je voyais les caméras et les perches de micro. C’est la troisième fois qu’on a les médias devant nos portes. C’est traumatisant pour les employés.» Quid de l’atmosphère au sein des locaux de la banque? «On doit bosser comme si de rien n’était ou presque. Le business continue. Avec ce sentiment étrange d’être des morts-vivants de la finance!»

Quant à la suite, Xavier ne se fait pas d’illusion: «On sait très bien qu’une grosse partie d’entre nous va passer à la trappe. Le calcul est vite fait: on est 17’000 employés au Credit Suisse auxquels s’ajoutent les 21’000 d’UBS. Ça fait 38’000 en tout. En toute logique, la presse parle de 10’000 licenciements à l’échelon suisse. UBS va devoir faire des choix. Or, la banque ne va pas liquider les siens. Même s’il y a des talents monstrueux chez nous, ils vont, en toute logique, licencier en priorité dans les effectifs de Credit Suisse.»

Une particularité genevoise devrait toutefois rentrer en ligne de compte: «A Genève, Credit Suisse n’a personne qui travaille dans la banque de détail. L’essentiel des effectifs est constitué par des gérants de fortune. Or, c’est dans la banque de détail et le back-office qu’il y a le plus de doublons», précise-t-il.

Ce qui ne l’empêche pas d’être inquiet pour son avenir... «Désormais, c’est un énorme concours de beauté pour savoir qui va partir et qui va rester. De mon côté, j’ai déjà commencé à me renseigner», conclut Xavier, dépité mais motivé.

 

«Tout faire pour limiter la casse sociale»

MP • Au lendemain de l’annonce du rachat de Credit Suisse par UBS, les questions sont nombreuses: combien de Genevois vont se retrouver au chômage? Quel est l’impact de cet événement sur la place financière genevoise? Fabienne Fischer, conseillère d’Etat chargée de l’Economie et de l’Emploi avance quelques éléments de réponse. Non sans avoir expliqué en préambule que «le Conseil d’Etat est préoccupé et suit attentivement la situation». Elle souligne: «La principale inquiétude concerne les conséquences sociales. Entre Credit Suisse et UBS, ils sont 1700 employés (dont 700 pour Credit Suisse) à Genève. Autant de gens qui n’ont pas démérité.»

L’objectif: limiter la casse. «A l’heure actuelle, 607 demandeurs d’emploi ont indiqué que leur dernier poste était un emploi bancaire. Soit 4% des demandeurs inscrits. De plus, le secteur bancaire a déjà beaucoup réduit ses effectifs ces dernières années.» C’est donc sur un marché tendu que les probables futurs licenciés devront tenter de se réinsérer.

Dès mardi 21 mars, Fabienne Fischer réunit les milieux concernés parmi lesquels des représentants de la Fédération des entreprises romandes ou encore de l’Association des employés de banque pour un point de situation. «Il faut rester modeste, précise la conseillère d’Etat. Les décisions sont prises à l’échelon national.» Elle entend toutefois tenter de limiter l’impact à Genève. «Dans un premier temps, il s’agira d’éviter tout ce qu’on peut éviter comme licenciements. Et dans un second temps de mettre en place des mesures d’accompagnement», à travers une prise en charge précoce des personnes ainsi que des formations pour permettre des reconversions.