Hydrothermie: le lac bientôt en ébullition?

La température du lac atteint des records jamais égalés révèlent les derniers relevés effectués. Pourtant, l’Etat continue de puiser dans cette réserve pour chauffer les bâtiments 
du bout du lac.  Pour les spécialistes, l’équilibre du Léman pourrait bien être menacé.

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«La multiplication des projets d’hydrothermie dans le Léman pourrait, à terme, devenir une source d’inquiétude»,  Suzanne Mader-Feigenwinter, Association pour la sauvegarde du Léman.

Jamais l’eau du lac n’a été aussi chaude que cette année. C’est ce qu’indique clairement le dernier rapport de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (CIPEL), qui met en garde face aux risques d’un dérèglement du fonctionnement global du lac. Si cette tendance se poursuivait, elle pourrait bien favoriser le développement de certaines bactéries, mais aussi avoir un effet négatif sur la qualité de l’eau, au point de menacer des activités comme la pêche ou la baignade. Et pourtant, malgré un lac en danger, les autorités genevoises continuent de vouloir utiliser cette précieuse ressource pour chauffer et refroidir les bâtiments en développant l’hydrothermie, brandie comme la grande solution écologique. De quoi inquiéter certains spécialistes, qui redoutent les conséquences négatives pour la biodiversité.
Solution miracle?
Son petit nom? Genilac, présenté par les Services industriels de Genève (SIG) comme «une infrastructure majeure pour produire du froid et du chaud avec de l’énergie renouvelable locale». Concrètement, il s’agit de capter l’eau du lac à 45 mètres de profondeur, là où elle a une température quasiment constante de sept degrés, puis de la transporter dans des conduites souterraines jusqu’aux bâtiments raccordés. De quoi remplacer les climatiseurs en été, mais aussi faire baisser la facture du chauffage.
Pour les autorités, aucun doute: la solution doit permettre de réaliser des économies sans précédent. «Toute l’installation fonctionne avec de l’électricité 100% renouvelable et permet une diminution de 80% de la consommation d’électricité pour la climatisation et de 80% des émissions pour le chauffage», assurent les SIG. Aurait-on finalement trouvé une solution miracle à tous nos problèmes liés au réchauffement climatique? Pas si vite.
Impacts négatifs
Certains spécialistes de la question s’interrogent en effet sur les conséquences négatives de cette technique et mettent en garde. Leur crainte: que la chaleur ou le froid extraits du lac ne se renouvellent pas assez rapidement. Cette dernière décennie, plusieurs études scientifiques se sont d’ailleurs intéressées à cette question: la plupart d’entre elles montrent qu’une incidence existe bel et bien, même si elle est qualifiée de «faible» dans la plupart des cas. «La production potentielle d’énergie thermique du Petit-Lac s’accompagne d’impacts environnementaux très faibles», conclut ainsi Pierre-Alain Viguerat, auteur d’une thèse à la Faculté des sciences de l’Université de Genève. Tout en reconnaissant tout de même que les débits mobilisés influencent bel et bien la «dynamique hydrologique saisonnière».
Des inquiétudes qui existent toujours aujourd’hui, notamment en raison du réchauffement particulièrement préoccupant du Léman. C’est notamment le cas pour la CIPEL, qui lance, dès le mois prochain, un bilan afin d’évaluer les usages thermiques et ses effets potentiels sur le fonctionnement du Léman et ses affluents. En toile de fond, la CIPEL cherche à identifier «les exigences réglementaires applicables et leur capacité à encadrer les éventuels effets indésirables». Si besoin, une recommandation pourrait être émise. Pour l’heure, la commission ne tire donc pas de conclusion. Elle rappelle que la température du lac est essentiellement tributaire du climat, et que rien ne prouve – pour l’instant en tout cas – que le réchauffement actuel serait lié à l’hydrothermie. «Aujourd’hui, la CIPEL doit rester très vigilante, car le réchauffement s’intensifie. Notre organisation intergouvernementale travaille essentiellement à garantir les différents usages du lac, tel que l’approvisionnement en eau potable, la pêche ou encore la baignade. Nous devons donc rester très attentifs face au changement climatique et à son impact sur la qualité de l’eau», résume Nicole Gallina, secrétaire générale.
Ecosystème menacé?
Du côté de l’Association pour la sauvegarde du Léman (ASL), on se dit là aussi concerné par l’exploitation de l’or bleu. «La multiplication des projets d’hydrothermie dans le Léman pourrait, à terme, devenir une source d’inquiétude. En effet, la cumulation des calories injectées ou prélevées dans le lac pourrait avoir un impact sur la température de l’eau», détaille la secrétaire générale de l’association, Suzanne Mader-Feigenwinter.
Comme sa consœur, l’association rappelle que la hausse de la température de l’eau a des répercussions néfastes sur tout le fonctionnement de l’écosystème lémanique. «Cela peut se traduire par des changements des cycles de vie des espèces, des changements dans les cycles chimiques ou des proliférations de germes pathogènes, par exemple des cyanobactéries. Pour rappel, ces algues bleu-vertes avaient causé la mort de plusieurs chiens à Neuchâtel en 2023. Des eaux plus chaudes pourraient en outre favoriser certaines espèces exotiques envahissantes», prévient la responsable. Une affaire à suivre…

 

Le Canton défend son approche

Du côté des autorités, on se veut rassurant. Le Département du territoire (DT), défend son approche et estime qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer. Pour cela, il se fonde notamment sur une étude de 2011, pour laquelle «le rejet au lac» a été modélisé. «En été, un léger refroidissement a été constaté très localement. En hiver, aucun changement de température n’a été mesuré. D’après les résultats de cette modélisation, l’impact d’un rejet était donc négligeable», explique Pauline de Salis-Soglio, secrétaire générale adjointe. Le DT indique également avoir effectué des rapports de suivi lors de l’installation de la station de pompage de Barton, qui révèlent eux aussi des conséquences faibles sur la température du lac. En résumé, des impacts légers, mais pas inexistants pour autant.
Dès lors, que penser d’un développement intensif de l’hydrothermie? Les autorités pourraient-elles envisager son arrêt si la santé du lac était menacée? «Si dans le futur, des impacts importants devaient être mesurés sur la faune et la flore aquatiques, des questions se poseraient sur la viabilité de ces pompages hydrothermiques», reconnaît Pauline de Salis-Soglio. Qui rappelle également qu’il est toujours envisageable de s’interroger lors du renouvellement des concessions d’exploitation, puisque celles-ci sont à durée limitée.
Mais pour l’heure, le Canton affirme ne pas souhaiter changer de direction. «Rappelons que l’hydrothermie ne rejette pas de CO2. Elle est ainsi une énergie qui contribuera à limiter le réchauffement de l’atmosphère et donc du lac», conclut Pauline de Salis-Soglio.