Le harcèlement scolaire continue à faire des ravages: des parents témoignent

ÉCOLE • Des familles de victimes jugent que les réponses des autorités scolaires ne sont pas toujours satisfaisantes. La conseillère d'Etat Anne Hiltpold entend quant à elle développer la lutte contre ce fléau.

Depuis de longs mois, Julien*, Paul* et Ludovic * sont victimes de harcèlement. Ces élèves, scolarisés dans trois établissements différents, font en effet l’objet d’insultes, d’humiliations, de menaces ou de coups infligés par leurs pairs. Pour les parents, la réponse des autorités scolaires est insuffisante voire injuste. Témoignages.

Magalie*, la maman de Julien*, 12 ans, explique: «Chaque fois que mon fils entre dans son école, ses camarades lui souhaitent la mort. Ils le traitent de rat, le rabaissent, l’humilient. Julien a perdu du poids, a vu ses notes s’effondrer et a désormais des soucis de santé.» Alertée, la direction du Cycle a proposé à Magalie de changer son fils d’établissement. Une mesure que la mère de famille juge inéquitable. «C’est lui la victime, et c’est lui qui en paye les conséquences. Il a tout de même des amis dans sa classe, qu’il va devoir abandonner. C’est une double peine», déplore la mère.

Moqueries incessantes

Autre témoignage et même constat pour cet assistant social de la rive gauche, qui encadre Paul*, 13 ans, un jeune lui aussi victime de harcèlement de la part de sa classe. Il essuie les moqueries répétées d’autres élèves, notamment en raison d’oreilles supposément décollées. Dans ce deuxième cas, la direction de l’établissement où est scolarisé l’adolescent, a proposé aussi à la victime de changer d’école. «Un scandale, estime l’encadrant. Il subit les moqueries et c’est lui qui doit partir. Ce n’est pas juste!», regrette Sébastien.

Ludovic*, 12 ans, est depuis un an, le souffre-douleur d’un camarade de classe. «Insultes, bagarres, bousculades se succèdent», affirme, Sylvie* la mère de l’enfant. Et d’ajouter qu’elle a expliqué la situation à l’enseignant puis à la direction de l’établissement. «En juin, quand j’ai appris que les deux enfants seraient dans la même classe à la rentrée, j’ai prévenu le prof que je ne laisserai plus rien passer quant aux agissements de l’enfant «maltraitant.» «Mais les 27 et 29 septembre, mon fils a été pris à partie par ce camarade et a reçu des coups. Des certificats médicaux attestent des blessures physiques», poursuit Sylvie. Ludovic montre des signes de dépression. «Son pédiatre a d’ailleurs fourni une attestation à l’école qui rend compte de son état. Et puis, il a perdu neuf kilos en quelques mois.

«Le 10 novembre, ce sont des menaces de mort qui ont été proférées à notre encontre. Dans le vestiaire, des chaussures ont été disposées en forme de cercueil. Mon fils était terrorisé.» Sylvie indique que la direction de l’établissement lui a aussi assuré qu’un surveillant supplémentaire serait désigné et présent durant les récréations. Des mesures que la mère de famille ne juge pas suffisantes.  «A la souffrance et à la peur s’ajoute encore un sentiment profond de ne pas être entendu.»Le 20 novembre, elle a déposé plainte contre l’élève. A cet égard, il faut savoir que la responsabilité pénale est engagée dès l’âge de 10 ans. C'est un des seuils les plus bas d'Europe. Les peines pour les moins de 15 ans vont de la réprimande à 10 jours de prestations personnelles (Travail d'intérêt général). Avant cela, le mineur impliqué est entendu par la police puis, la plupart du temps, convoqué au Tribunal des mineurs. Une audience avec le plaignant peut également avoir lieu.

Main courante déposée

Certaines directions d’établissements concernés reconnaissent leur impuissance à punir efficacement les responsables. «On ne va pas disperser tous les élèves d’une classe ou changer 20 élèves d’école», a-t-on notamment répliqué à Sébastien pour justifier la décision visant la jeune victime dont il a la charge. Dans le cas de Magalie, la situation est encore pire. «La direction de l’école sous-entend presque que mon enfant mérite ce qui lui arrive. Un prof m’a expliqué que mon fils dénonçait des camarades et que ceci expliquait leurs réactions. Mais quel est le message qu’on transmet à mon enfant?», désespère Magalie. Pour tenter de faire évoluer les choses,  la mère de famille a déposé une main courante à la police contre l’élève le plus harceleur. Depuis, celui-ci semble avoir cessé ses agissements. Mais Magalie l’accuse d’avoir ligué d’autres enfants contre Julien. «Est-ce que j’ai mal agi en dénonçant ces actes inadmissibles?», s’interroge-t-elle.

 

Anne Hiltpold veut développer la lutte contre ce fléau

Préoccupée par la hausse des cas en 2023, Anne Hiltpold, la nouvelle ministre chargée du Département de l’instruction publique (DIP), réaffirme la nécessité d’apporter une réponse éducative aux auteurs de harcèlement, des sanctions, mais aussi des mesures réparatrices.

GHI: Quelle est la situation générale à Genève?
Anne Hiltpold:
Selon la dernière enquête internationale Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) réalisée en 2022, à laquelle le canton de Genève a participé, la proportion des 11 à 15 ans qui disent avoir été harcelés à l’école au cours des derniers mois atteint environ 7%. Mais nous n'avons pas actuellement de données disponibles standardisées et plus récentes sur le nombre de cas déclarés de harcèlement scolaire dans les écoles genevoises. Ceci dit, il m'a été indiqué que nous avons une augmentation du nombre de cas, par rapport à l'année passée, au niveau du secondaire II et cela nous préoccupe.

Quelle est votre politique en matière de gestion des cas de harcèlement scolaire?
La lutte contre le harcèlement fait partie des priorités que je veux développer durant mon mandat. Lorsqu'un cas est identifié, il convient en premier lieu de faire cesser les comportements et agissements portant atteinte à la victime, de lui reconnaître son statut de victime et de lui assurer immédiatement des mesures de protection. Par ailleurs, il s'agit d'apporter une réponse éducative aux auteurs de harcèlement, des sanctions, mais aussi des mesures réparatrices. L'école doit apporter une réponse proportionnée et conforme au cadre scolaire. Le déplacement, dans une autre école, de l'auteur d'acte de harcèlement doit pouvoir être envisagé, en dernier recours et après évaluation des professionnels du département. A ce jour, un tel déplacement ne fait pas partie des sanctions, mais je souhaite que cela ne soit plus un tabou, dans certaines situations.

Les directeurs d’établissements bénéficiaient (avant votre entrée en fonction) d’une grande autonomie. Allez-vous la maintenir? Si oui, le traitement des situations de harcèlement leur incombera-t-il au même titre que d’autres missions?
Je n'ai pas prévu de restreindre l'autonomie des directions en la matière, mais toutes les directions d'établissement disposent d'un mode opératoire harmonisé (directive) pour la prise en charge des situations de harcèlement entre pairs qui prévoit notamment la constitution d'une cellule d'intervention. Il est effectivement de leur responsabilité de le faire appliquer et elles peuvent à tout moment solliciter le service de suivi de l'élève si elles en sentent le besoin.

Quels sont les axes de prévention du DIP en matière de harcèlement scolaire?
La prévention du (cyber) harcèlement auprès des élèves sera renforcée dans le cadre de l'Éducation numérique ainsi que des cours d'éducation sexuelle et affective. La brigade de prévention de la police de proximité intervient auprès de tous les élèves de 9e du cycle d'orientation. Cette année également,  un projet pilote a été mis sur pied avec l'ordre des avocats pour informer sur les conséquences juridiques du harcèlement et les risques numériques. Durant l'année 2023-2024, les classes de 8P pourront assister au spectacle de théâtre-forum de la compagnie Le Caméléon, Un pour tous, tous pourris !. Par ailleurs, afin de poursuivre les efforts pour mieux repérer les situations et les prévenir, une formation obligatoire en ligne (e-learning) pour les directions et le personnel des établissements sera déployée durant l'année 2024. Enfin, la formation sur la technique d'entretien de préoccupation partagée (TEPP) sera poursuivie.